Quelles sont les conséquences psychologiques liées au rôle d’aidant proche ? Comment éviter l’épuisement dans une telle situation ?
L’aide apportée par les aidants proches se compte souvent en temps et en énergie. Mais cela a évidemment aussi un impact considérable sur leur propre vie. Etre aidant proche a des conséquences sociales, professionnelles, financières et bien sûr psychologiques.
Pour mieux comprendre le vécu d’un aidant proche, nous avons interviewé Jean-Michel Longneaux, Docteur en philosophie et professeur au sein de l'Université de Namur.
Tout d’abord, pourriez-vous nous dire quel est le ressenti d’un aidant proche au quotidien ?
Selon les témoignages des aidants proches, il y a tension dans leur vécu, entre deux sentiments : à la fois le sentiment d’un devoir 💪 qui n’est pas forcément une contrainte, on se sent tenu par le devoir, et l’on trouve cela normal. On se sent incapable de ne pas aider. Et en même temps la conséquence de cette première posture, c’est le sentiment d’un épuisement 😴 d’une fatigue, d’une négation de soi. Cet épuisement est parfois tel que certains proches disent avoir l’impression que c’est l’aidant proche qui va y passer avant celui qui est aidé. C’est donc souvent une ambivalence qui bien sûr varie d’une personne à l’autre.
Quelles sont les conséquences psychologiques les plus fréquentes qu’un aidant proche va « subir » ?
J’ai tendance à résumer cela à trois attitudes qui recouvrent une infinité de positions possibles :
👉 Quand on étouffe dans ce dilemme du devoir assumé, une des attitudes tourne autour de la fuite physique, des gens qui vont démissionner, qui vont partir. Une autre attitude de fuite qu’on retrouve souvent, ce sont des personnes qui vont se blinder intérieurement, qui vont s’anesthésier : elles sont en souffrance, elles s’épuisent à petit feu, mais ne le voient pas. Elles vivent dans une espèce de déni des émotions.
👉 Une attitude plus fréquente et plus visible, c’est la violence, la colère 😡 l’agressivité... Ces comportements peuvent prendre différentes formes. Il peut y avoir soit la colère adressée à l’autre, soit la colère que l’on va retourner contre soi (on s’en veut de ne jamais en faire assez, on se culpabilise, on se sacrifie), soit une colère qui sort plus tard, par du passage à l’acte (négligence, maltraitance) : c’est une violence que l’individu s’interdit d’exprimer, jusqu’au jour où elle explose.
Pour les gens qui ont appris à être gentils, qui ne savent pas exprimer leur colère, la violence va sortir en différé. Ces gens vont garder leur colère, pour eux, laquelle va s’accumuler, jusqu’au jour où ils vont exploser 💥 et ça part alors dans tous les sens. Il peut aussi y avoir des personnes qui vont retourner la violence contre eux-mêmes, par exemple par un surcroit de sacrifice de soi. Cela peut aussi sortir à travers des pathologies que la personne développe, ou à travers des comportements auto-destructeurs. Il ne faut pas y voir des pathologies à proprement parler ou y voir des fautes, et surtout il faut éviter d’avoir un jugement moral là-dessus.
👉 La dernière attitude tourne autour de la dépression 😥 ou d’un effondrement intérieur. Ce sont des gens qui font une espèce de burn-out, ils se consument intérieurement, désespérés : ils n’ont plus d’énergie, ils ne savent plus aider. Ils sont complètement dépassés par les événements.
Ce sont donc les trois comportements possibles dans lesquels un aidant proche peut tomber. Parce qu’il veut être à la hauteur du devoir, parce qu’il doit s’occuper de la personne, avec des discours comme « il n’y a que moi qui peut le faire ». Il se met une charge trop élevée sur les épaules et le risque qu’il prend est de se casser la figure à un moment donné.
Passe-t-on généralement par différentes phases comme dans un processus de deuil avec différentes phases que la personne traverse ?
Cela va bien sûr dépendre d’une personne à l’autre. De façon générale, on peut faire un lien avec le deuil qui est un processus en deux temps. D’abord le ciel semble nous tomber sur la tête, et le premier réflexe est bien souvent de nier, de refuser l’évidence. Et ce n’est qu’après coup qu’on accepte. Quand quelqu’un va s’épuiser 😴 on doit s’attendre à ce qu’elle refuse de le voir. Elle ne va pas vouloir l’entendre, si on le lui dit, et elle va esquiver. Tous les prétextes seront bons : « il n’y a personne d’autre pour aider » ; « ce n’est pas moi le malade, je n’ai pas le droit de me plaindre » ; « j’ai promis », etc. Elle ne va pas accepter les remarques ou les craintes qu’on pourrait formuler concernant son état de fatigue ou de santé. Et c’est bien souvent quand l’aidant proche va trop loin et qu’il tombe dans les attitudes citées plus haut, qu’alors il ne peut plus nier les évidences.
Que peut-on faire pour atténuer ces conséquences quand on est aidant proche ? Quel rôle la famille ou l’entourage peut jouer ?
Il faut que les aidants proches s’autorisent à demander de l’aide. Pour cela il faut d’abord reconnaître qu’on a beau aimer les gens qu’on doit aider, on est limité. Il faut faire le deuil de sa toute-puissance et se réconcilier avec ses propres limites. L’entourage 👪 doit aussi reconnaître que la personne a ses limites. Et ensuite, il est possible de demander de l’aide pour empêcher parfois des catastrophes.
Il y a deux choses que l’on peut faire pour aider les aidants proches :
👉 Etre présent quand on est témoin qu’un aidant proche coule, dire ce qu’on a à dire (fais attention, protège-toi, tu as le droit de lever le pieds, laisse-moi t’aider, etc.), et si la personne ne veut rien entendre, attendre qu’elle se casse la figure. C’est souvent en ayant touché le fond, que les personnes ont pu après réagir.
👉 Secouer la personne ou par exemple décider à sa place. C’est une position qui peut être jugée violente dans les apparences mais l’intention ici c’est de protéger les personnes. Le fait d’avoir été secoué peut permettre à l’aidant proche de prendre conscience de la situation et réagir.
Les groupes de parole 💬 sont aussi une solution qui peut aider. Entendre d’autres vivre les mêmes choses, partager des difficultés comparables et imaginer ensemble des solutions peut avoir un impact positif qui, outre le fait d’apporter des solutions, aide parfois à déculpabiliser. Là où on a parfois l’impression qu’on est seul et qu’on se sent d’autant plus fautif de ne pas être à la hauteur, il est important de découvrir que d’autres sont pris dans les mêmes enjeux.
Les associations ont aussi un rôle positif. Le fait d’officialiser ce statut, c’est aussi une façon de le reconnaître, d’attirer l’attention d’une souffrance souvent ignorée, et d’organiser des aides structurelles.
Ces différents éléments permettent de faciliter la déculpabilisation et les témoignages nous montrent qu’au final, les résultats sont souvent positifs.
Vous cherchez un soutien en tant qu’aidant proche ou des informations pour aider un aidant proche en difficulté ? Le Réseau SAM est là pour vous informer et vous orienter 💚
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